Le grand détournement mondial des infirmières : les pays riches économisent des dizaines de milliards aux dépens des pays en développement — il est temps qu'ils remboursent

1 Juillet 2025
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Lors du Congrès du Conseil International des Infirmières (CII), le CII a mis en lumière des chiffres frappants démontrant à la fois la puissance économique des soins et l’exploitation économique au cœur de la migration inéquitable des infirmières.

Des milliards transférés des pays les plus pauvres vers les plus riches dans une vaste arnaque de recrutement

Les dernières données suggèrent que des milliards de dollars sont transférés des pays les plus pauvres du monde vers les plus riches du fait que ces derniers économisent sur les coûts de formation des infirmières en les recrutant à l’étranger, sans pour autant compenser les pays d’origine.

Le Dr José Luis Cobos Serrano, président du CII, a déclaré : « Un recrutement éthique est essentiel pour l’équité et la justice en matière de santé dans le monde. Si le CII soutient le droit individuel des infirmières à émigrer, nous savons que les pays en développement vulnérables perdent des centaines de milliers d'infirmières, souvent en raison d'un recrutement agressif de la part des pays riches. Les données du nouveau rapport sur la situation du personnel infirmier dans le monde (SOWN) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) le prouvent : près d'un quart des infirmières des pays à revenu élevé sont nées à l'étranger.

Nous ne pouvons pas priver certains pays de ressources humaines précieuses dans le domaine de la santé pour en approvisionner d'autres. Le CII appelle les États à revenu élevé à rompre avec ces schémas inéquitables et à adopter une planification durable et autosuffisante de la main-d'œuvre et d'un recrutement éthique, ainsi qu’un recrutement éthique incluant des mécanismes de compensation équitable pour les pays en développement ayant investi dans la formation de ces infirmières. »

Howard Catton, directeur général du CII, a souligné le lourd tribut économique que fait peser le recrutement non éthique sur les pays en développement, déclarant :

« Les pays riches prennent des infirmières dont ils ont grand besoin dans des pays fragiles qui souffrent déjà de pénuries, empochant essentiellement l'argent que les pays à faible revenu ont dépensé pour former ces infirmières, et les associations nationales d'infirmières (ANI) de ces pays sources m'ont dit qu'il n'y avait que peu ou pas de compensation financière. S'ils sont indemnisés, on nous dit que ces pays en développement reçoivent une somme dérisoire en échange des précieuses infirmières qu'ils ont investi dans leur formation, dans certains cas 1 000 dollars par infirmière, une somme dérisoire qui est loin de les dédommager proportionnellement à ce qu'ils perdent.

Il s'agit d'un tour de passe-passe : les pays riches contournent les coûts colossaux de formation en recrutant à l’étranger au lieu d’investir dans leur propre personnel infirmier.

Par exemple, de nouvelles données montrent que le Canada, l'un des principaux pays contractants, a évité plus d'un milliard de dollars canadiens en coûts de formation en recrutant des travailleurs de la santé dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Si l'on additionne ce que les dix principaux pays contractants économisent en frais de formation en recrutant des professionnels de la santé dans les pays en développement, il s'agit probablement de dizaines de milliards - des dizaines de milliards transférés des pays les plus pauvres vers les plus riches, avec très peu d’éléments montrant que les pays sources en bénéficient réellement.

Difficile de ne pas conclure qu’il s’agit d’un détournement mondial des infirmières. »

Les soins infirmiers et les emplois sociaux génèrent des milliards de dollars, mais les dirigeants doivent cesser de considérer les infirmières comme une simple monnaie d'échange

La crise internationale du recrutement reflète une dévalorisation plus large du véritable rôle des infirmières.

Lors du récent Congrès du CII à Helsinki, les participants ont appris que les modèles du Forum économique mondial (WEF) montrent un investissement de 1 300 milliards de dollars dans les emplois en soins et services sociaux aux États-Unis pourrait générer un retour sur investissement de 3 100 milliards de dollars en PIB.

Les travaux du CII n'ont cessé de démontrer que les infirmières sont essentielles pour améliorer la santé des populations, assurer la croissance économique et relever les défis en matière de santé, qu'il s'agisse du climat, des conflits ou de la résilience aux pandémies. Pourtant, les dirigeants continuent de ne pas investir dans la mise en place d'une main-d'œuvre durable et équitable, et la pénurie d'infirmières reste une urgence sanitaire mondiale.

M. Catton a commenté :

« On pourrait croire que les politiciens ignorent la valeur des infirmières, mais en réalité, ils la connaissent peut-être. En fait, les dirigeants comprennent si bien la valeur des infirmières qu'ils les utilisent comme monnaie d'échange politique : ils justifient de ne pas dépenser ailleurs en disant combien d’infirmières ils pourraient embaucher à la place, mais ils prennent ensuite les mauvaises décisions.

Tout est une question de priorités. Le monde met logiquement l’accent sur la défense actuellement, mais comme l’a rappelé récemment le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom, le prix d’un seul avion furtif permettrait de financer l’ensemble du budget annuel de l’OMS, soit 2 milliards de dollars ou de financer 100 000 infirmières. Il faut trouver un équilibre entre défense et santé, et reconnaître que les deux relèvent de la sécurité nationale et mondiale, et que l’on ne peut choisir la santé sans aussi choisir les soins infirmiers. »

Le CII demande un refoulement proportionné avec des solutions concrètes

Le message du CII est simple : si vous prenez, vous devez rendre.

Le président du CII, le Dr Cobos Serrano, a déclaré :

« Tout pays qui veut être considéré comme éthique doit offrir la réciprocité et un retour réel et proportionné lorsqu'il accepte des travailleurs de la santé de l'étranger.

Si les pays riches économisent des milliards, pourquoi ne réinvestissent-ils pas une partie de ces bénéfices dans un fonds mondial destiné à renforcer la formation des infirmières dans les pays d'origine ? Nous savons que les pays en développement dépensent plus pour le service de la dette que pour l'ensemble de leurs budgets de santé ou d'éducation. Pourquoi les pays riches n'annulent-ils pas une partie de la dette souveraine que leur doivent les pays dont ils escroquent la main-d'œuvre ?

Il est urgent de renforcer le code de pratique mondial de l'OMS sur le recrutement international des personnels de santé et de prendre des engagements contraignants pour indemniser de manière adéquate les pays en développement pour les personnels de santé qu'ils perdent. Dans le cas contraire, le code risque d'autoriser uniquement le pays recruteur à « prendre » et de ne pas soutenir les « dons » compensatoires.

Le CII appelle également les dirigeants à s'attaquer d'urgence aux conditions de travail inadéquates, aux bas salaires et au manque de protection des infirmières contre la violence, souvent fondée sur le sexe, qui perpétuent les pénuries et alimentent ces schémas de migration inéquitable des infirmières et de recrutement international contraire à l'éthique ».